Le Serpentaire

Interview Jérôme Ruffier (le Serpentaire)

Aujourd’hui, publication d’une interview de Jérôme Ruffier, excellent romancier et récemment auteur d’un Livre Dont Vous Êtes Le Héros (grand format et illustré par Pierric Sorel), intitulé Le Serpentaire et publié avec audace chez Makaka Éditions. Ne tournons pas autour du pot : Jérôme et moi nous connaissons depuis une bonne grosse dizaine d’années – nos parcours éditoriaux sont étrangement corrélés et nous avons travaillé ensemble sur plusieurs projets communs. À ce jour, Jérôme m’a proposé de rejoindre sa team pour collaborer au développement du Constellé, un gros projet de LDVELH dont on parlera probablement au cours de l’entretien ci-dessous. Bref, pour plein de raisons, j’avais envie de faire le focus sur Jérôme et son univers foisonnant dont le Serpentaire est peut-être, finalement, la meilleure porte d’entrée. Go.


Présentation

Bonjour Jérôme ! Avant toute chose, comment vas-tu ? En forme ?

En pleine forme, même si je n’arrête pas de travailler. J’ai un boulot alimentaire à côté, pour payer les factures, donc cumuler tout ça avec l’écriture, c’est sportif (même si j’ai pris un peu de ventre depuis quelques temps…). Mais depuis le succès du Serpentaire, j’ai l’impression de reprendre du poil de la bête !

Ouais, une bête poilue avec un peu de ventre, ça peut faire sensation ! 🙂 Bon, on parle déjà du Serpentaire, mais c’est évidemment réducteur de ne pas en dire davantage sur toi. De fait, est-ce que tu peux te présenter plus précisément ?

J’ai 44 ans (déjà, snif) et j’écris des romans depuis mes 28 ans environs. Auparavant, j’avais tenté de percer dans l’écriture de scenarii pour la télé et le cinéma, mais c’est un monde de requin, et moi je suis plutôt une truite. Depuis, donc, j’ai écris quatre livres, surtout de l’horreur comique et de la Fantasy, chez des petits éditeurs. Maintenant, je me focalise à fond sur le genre Livre Dont Vous Êtes Le Héros.

Jérôme Ruffier

Le Serpentaire

OK. Le Serpentaire est donc ta première incursion – je crois – dans ce registre. Comment s’est faite la transition depuis tes œuvres précédentes ?

Exact ! La transition s’est faite par hasard. J’ai toujours adoré ce genre de littérature (j’ai 160 bouquins du style dans ma bibliothèque) et j’en lisais pendant le premier confinement de 2020. Sale période. Mais durant cet enfermement (ça va, j’ai la chance de vivre en maison), la lecture d’un Défis Fantastique (une série très connue) m’a travaillé : je me suis dit « serais-tu capable d’écrire un Livre-Jeux ? ». J’avais déjà un bout d’histoire, piquée sur un projet perso, et je l’ai adapté. Voilà comment Le Serpentaire est né.

Le Serpentaire - illustration Pierric Sorel

Plus techniquement, est-ce que tu as dû faire évoluer ta manière d’écrire, de penser un récit, des personnages, des thèmes ? En quoi est-ce différent – en mieux ou en moins bien – que de travailler sur un roman traditionnel ? Y-a-t-il pour toi des limites gênantes (dialogue, développement des personnages, règles de jeu, autre…) ?

Dans l’absolu, ce n’est pas vraiment différent d’un roman normal, sauf qu’il est préférable d’écrire au temps du Présent de l’Indicatif, ce qui est compliqué quand on a tartiné des milliers de pages au Passé Composé et à l’Imparfait. Je m’arrange toujours pour que le lecteur, quelque soit son parcours dans le livre, ait une idée globale du scénario. Même si parfois mes livres ont plusieurs fins.

À la fin de l’écriture du Serpentaire, j’ai compris que ce genre me correspondait totalement : on ne se prend pas la tête avec une intro de 100 pages, on entre direct dans le sujet, et après on essaie de surprendre le lecteur.

Certaines limites existent, bien entendu. En premier lieu, je tente de ne pas trop faire parler le héros, donc le joueur, même si je n’ai pas respecté cette règle avec le Serpentaire. Mais dans ce cas, ce n’était pas grave car on incarne Arcan Rivelac, un homme qui possède déjà tout un background. Je prendrais comme exemple la série de jeux vidéo « The Legend of Zelda », où Link ne prononce jamais le moindre mot, pour que le joueur s’identifie au héros de Nintendo. J’évite donc les dialogues au maximum, paraphrasant plutôt dans le texte ce que pourrait dire le joueur.

Ensuite, une autre limite me vient à l’esprit, mais cela résulte des choix de l’éditeur. Chez Makaka, nous sommes conditionnés à 176 pages maximum, avec 50 illustrations. Restent 126 pages pour l’écrivain, même si la police d’écriture est petite. Ayant une tendance à m’étaler, je dois rendre mon histoire plus concise. Mais c’est un défi sympa à réaliser.

Ma dernière entrave dans l’écriture se situe dans la mise en page et la cohabitation du texte avec les illustrations. Sans rentrer dans les détails, c’est parfois une purge dans laquelle je m’arrache les cheveux. Cependant, j’ai mis en place des techniques qui me semblent valables pour les prochains albums.

Et pour te donner ma façon de travailler, elle est assez simple : je pense d’abord à une ambiance, qui détermine l’histoire et ensuite le gameplay. En dernier lieu, je tente d’éliminer toute les interactions de jeux non utiles, le genre de truc qui pourrait rendre lourd la façon de jouer.

Le Serpentaire - Illustration Pierric Sorel

En lisant ce livre (ou en y jouant), j’ai vraiment eu la sensation que tu avais trouvé le « médium » qui était adapté à ton style, à tes besoins d’expressions, à ta culture profonde et aux univers qui te traversent. À tel point que, tu vas pouvoir nous en parler, tu donnes l’impression de ne plus avoir trop envie de faire autre chose que du LDVELH. Comme si tu avais besoin d’aller creuser un profond sillon dans ce genre (genre qui ne demande, je trouve, qu’à être bousculé). Vrai ou pas vrai ?

Vrai ! Avec ce genre de littérature, on peut « se lâcher » un peu. Un de mes prochains livres est complètement foutraque, un hommage appuyé aux films d’horreur fin 70/début 80 que je n’aurais jamais pu faire publier chez un éditeur classique. Mais là, on est le héros !

Quant à bousculer les choses… dur à dire. Certaines règles dans ce styles semblent immuables, mais on peut en effet les contourner ou les améliorer, voire en proposer de nouvelles.

Le Serpentaire est donc publié chez Makaka Éditions, un éditeur dont la spécificité est de proposer des livre-jeux illustrés (en particulier des bande-dessinées). Est-ce que tu as dû retravailler ton manuscrit pour justement y accueillir les contraintes graphiques et éditoriales que tu as mentionnées plus tôt (car il me semble qu’au départ tu n’avais pas forcément envisagé cette direction là) ? Comment s’est passée ta collaboration avec Pierric ?

J’ai effectivement dû retravailler le manuscrit pour le faire entrer dans le style de la nouvelle collection du Roman Dont Vous Êtes Le Héros Illustré de Makaka. Ça a été long et dur, mais on y est arrivé. Il a fallu également que je pense à 50 illustrations, dont certaines interactives.

Pour la collaboration avec Pierric, ce fut assez facile. Je lui faisais une description des images et il se mettait au travail. Ce mec est un pro ! Et en parlant de pro, je voudrais aussi saluer la compétence de Shuky Medina, l’un des big boss de Makaka. Sans lui, le livre n’existerait pas.

L’histoire du Serpentaire se situe dans un univers de fantasy à la fois classique et détourné (je pense à ce propos au bestiaire présenté, mais je n’en dis pas plus de peur de spoiler). Est-ce que tu as des œuvres de références auxquelles tu te sens proche ou qui t’ont inspiré ?

Au départ, ce devait être un roman classique avec un autre héros qui se déroule dans un continent plus au sud. L’inspiration venait clairement du manga Bersek, qui me fascine.

Au final, j’ai juste repris une trame de fond pour en faire une histoire médievale-européénne avec une touche de fantastique. Je ne voulais surtout pas de Fantasy. En lisant une première version, Emmanuel Quaireau (Manuro/Fitz), le number one français du genre, m’a dit que l’histoire lui rappelait de loin l’Assassin Royal de Robin Hobb, dont il est fan. Si c’est le cas, c’est involontaire de ma part. Je dirais juste qu’à ce moment, je jouais beaucoup à Kingdom Come : Delivrance, pour ceux qui connaissent.

Le Serpentaire - Illustration Pierric Sorel

Je crois que, en un sens, toute œuvre qui se déroule dans un univers à la fois médiéval et fantastique/fantasy finit par ressembler tôt ou tard à l’Assassin Royal. En tous cas, quand on termine ton livre, on comprend finalement que l’ouvrage n’est probablement qu’une introduction à un monde plus vaste (le temps, l’espace, les promesses narratives). Tu peux nous parler de la suite du Serpentaire ?

J’espère qu’un tome 2 verra le jour. Les ventes du premier détermineront s’il y a une suite ; ce sont les règles de l’édition. Il en existe une de 30 pages pour le moment et une histoire alternative en plus qui est juste résumée, mais déjà découpée en paragraphes. Je suis en plein doute quant à la marche à suivre dans le scénario, j’hésite entre les deux versions qui sont totalement différentes. L’une se rapproche du tome 1, plus linéaire mais dont l’histoire a été saluée, l’autre plus libre, moins dirigiste. Sachant que les deux versions peuvent se compléter, l’une devenant la suite de l’autre.

Bon, on peut y croire : le premier tome semble déjà sur la route du succès. D’ailleurs, est-ce que tu as déjà eu des retours de lecteurs/lectrices ? Comment ça se passe ? Ça te fait cogiter ?

J’ai déjà reçu pas mal de retours, tous positifs et ça fait chaud au cœur. On m’écrit sur Facebook ou X, certains font des articles et des vidéos, c’est assez troublant pour moi, étant donné que j’ai toujours plus ou moins été publié dans une certaine confidentialité. Ça me donne l’envie de ne pas déconner pour les prochains livres ^^. D’où mes doutes à la question précédente…

LDVELH et Projets

Quand tu écris des LDVEH, est-ce que tu penses à ton lectorat type ? Est-ce que, déjà, ce lectorat est identifiable ? Si oui (et je pense que oui), est-ce que sa caractérisation va, d’une manière ou d’une autre, influencer ton écriture ?

Pas du tout, je ne cherche pas à faire entrer mon lectorat dans une case, même si je sais qu’il s’agit pour la plupart de quadra ou quinquagénaire. Cependant, de plus en plus de jeunes s’y mettent, et ça fait plaisir. La relève est là !!!

Et pour la fin de ta question : non, mon écriture n’est aucunement influencée. Je pense d’abord à moi en me disant : « est-ce que j’aimerai lire ça ? »

Tu es peut-être un lecteur type du LDVELH !:) Échangeons quelques mots, si tu veux bien, sur tes projets à venir – il y en a un certain nombre, c’est le moins que l’on puisse dire. Tu nous fais le point, à plus ou moins long terme ?

Il y a tout d’abord Ghost Of Chernobyl, qui sera publié chez Poséidonia, en collaboration avec Vianney Carvalho. Deux autres projets sont également en cours, mais je n’ai pas le droit d’en parler pour le moment.

Et il y a le Constellé, mais il me semble qu’on en parle à la question suivante ^^

Le Constellé - illustration Vianney Carvalho
Le Constellé / Jérôme Ruffier – illustration Vianney Carvalho

Exactement, parlons maintenant du Constellé. Pour moi, de par son ambition démesurée, Le Constellé sonne un peu comme la promesse de ton « grand œuvre ». D’une certaine manière, j’y trouve vraiment tout ce qui caractérise ta signature créative – le goût de l’imaginaire, les liens avec les jeux vidéos, les références et l’humour, la violence, certaines thématiques récurrentes (la malédiction de l’héroïsme, par exemple), etc. Comme si tu avais chercher à définir un vaste concept où tu pouvais y placer à l’intérieur tout ce que tu aimes et qui t’intéresses en tant qu’auteur (ce qui n’était pas forcément possible dans le Serpentaire ou Ghost of Chernobyl, je suppose). Qu’est-ce que tu peux nous dire de plus, à ce jour, sur ce projet ?

Oh oh, calmos sur les compliments, Guillaume, tu vas me faire rougir. Le Constellé m’est venu à l’esprit après avoir lu Fabled Lands. J’ai pris une claque phénoménale sur les propositions de gameplay. Cependant, on se contente d’errer d’un pays à un autre, sans réel fil conducteur. Je me suis dit qu’il serait bien d’écrire une série sur cette base, mais en proposant un scénario béton, un genre de Shonen en JDR épique avec ces grands guerriers à battre, ses histoires à tiroir et tout ce qui pourrait amener le lecteur à se dire : « vivement la suite ». En gros, proposer un vrai jeu de rôle en solitaire, avec un système de jeu qui éliminerait la volonté de tricher.

Pour le synopsis : on incarne Le Constellé, un homme qui voit son île se faire dévaster par les troupes de la Salamandre. Sauvé par un vieux savant et une pirate, on visite les différents livres et donc royaumes pour comprendre la raison de cette attaque et se venger. Le Constellé peut mourir, mais il revient aussitôt à une Pierre de Vie disséminée ça et là sur la carte. On possède un chariot pour aller de ville en ville, d’un bateau, et on peut même arpenter le paysage à pied.

Il y a la grande histoire, qui se déroule sur tous les livres, mais chaque tome propose aussi un grand scénario indépendant. Le tome 1 est terminé à 97 % mais il est dur de trouver un éditeur pour une telle saga.

Croisons les doigts. Mais on peut se dire que les lecteurs qui ont apprécié Le Serpentaire ne pourront qu’apprécier Le Constellé, ce qui pourrait en substance convaincre un éditeur. Changeons de sujet : peut-être on peut rapidement évoquer Olympik ? Ce n’est pas lié à ton actu, mais ça me paraissait important de rappeler que, à l’origine, Olympik était à ton initiative (pour ceux que ça intéresse, je me suis déjà expliqué là-dessus ici). Je te remercie donc de m’avoir aiguiller vers ces Dieux grecs un peu stupide et touchants, car vraiment moi ça me défoule de leur faire vivre ces aventures. Bref, qu’est-ce que tu peux dire de ce Olympik ? Est-ce que tu envisages, un jour, de remettre les mains dans le moteur ?

Ah Olympik… on voulait en faire une série TV ensemble à la base. J’avais même croisé Lambert Wilson par hasard, et je lui ai proposé le rôle de Zeus, mais j’étais bourré comme un coing et je doute qu’il m’ai pris au sérieux (ça va, j’avais pas d’enfants à l’époque!). Franchement, les saynètes étaient sympas à écrire, dommage que le projet n’ait pas fonctionné.

Je me remettrai les mains dans le moteur uniquement pour un projet TV, avec un producteur et tout le toutim…

Je profite d’ailleurs de cette parenthèse pour mentionner que toi tu aussi tu as soumis un texte au Mini-Yaz 2024. Par conséquent, tu veux bien nous lâcher quelques mots sur ce bien nommé Saint-Engrenage (qui est relié, d’ailleurs, au Constellé dont a parlé plus tôt) ? Par ailleurs, Jérôme, bonne chance pour le concours.

Oui, le Saint-Engrenage a été écrit à une période, assez proche, où je sortais des corrections du Serpentaire, j’entamais celles de Ghost Of Chernobyl et je finissais le premier tome du Constellé. Que des livres plus ou moins sérieux, dans les thèmes mais aussi dans le travail fourni J’avais besoin de me lâcher, d’être un peu plus vulgaire, brut de décoffrage. Bref, d’avoir un exutoire. Je sais que la grossièreté a un peu choqué, mais honnêtement je m’en moque. Je n’ai pas voulu changer le texte pour le concours, même si j’en avais la possibilité. L’histoire devait s’écrire ainsi selon moi. J’ai inauguré dans le Saint-Engrenage pour la première fois mon nouveau système de jeu, que j’ai pompeusement nommé « Enemy Attrition », qui consiste à affaiblir son adversaire avant de l’affronter et qu’on retrouvera dans le prochain bouquin qui s’intitule, pour le moment, le Livre des Morts. Et bonne chance à toi, au passage, avec Olympik – le Fémur et la Lucarne.

La dernière Question

Nous arrivons maintenant à la dernière question – question traditionnelle que je posais à l’époque pour conclure les interviews que je faisais (j’aimais bien les leviers émotionnels qu’elle pouvait – ou pas – actionner). Donc : quel est ou quels sont tes héros ? Ça peut être n’importe qui, personnage historique, fictionnel, un proche… Et surtout, quelles raisons à ce choix ? Enfin, si tu pouvais interviewer ce ou ces héros, tu finirais par lui poser quelle question ?

Putain mec, je vais te décevoir, mais je n’ai pas vraiment de héros, si ce n’est quelques proches, famille ou amis. J’ai cependant adoré Kurt Cobain pour sa vision torturée des choses et je kiffe deux réalisateurs, Sergio Leone et John Carpenter. Si je devais poser une question, ce serait à Kurt : « T’es-tu vraiment donné la mort, ou t’as-ton aidé ? ». Je fais évidemment référence aux rumeurs de son éventuel assassinat. J’aurai toujours le doute…

Ajout de dernière minute en me relisant : j’aimerai questionner certains président des USA (qui ne sont clairement pas mes héros, mais je triche) sur les éventuels révélations qu’ils ont eu sur les OVNI. L’ufologie m’a passionné de longues années durant et c’est un phénomène étrange : plus je creuse et m’instruis, moins je le comprends…

Kurt Cobain par gilbert86II
Kurt Cobain par gilbert86II

Je suis d’accord sur le fait que la fonction présidentielle est difficilement compatible avec celle d’un héros. Merci à toi pour ces réponses ! Et au plaisir de découvrir tes prochaines œuvres !!!


Le Serpentaire est disponible dans votre librairie ou magasin de jeux favoris. Sinon, directement sur le site de Makaka ou, par exemple, sur Amazon.

La Page Facebook de Jérôme si vous voulez le contacter.

Facebooktwitterlinkedinmail

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *