C’est comment de travailler à distance avec son petit frère (duquel on entend bien les lignes de basse, c’est vraiment du bonheur) ?
C’est plutôt facile à condition d’être organisé et de savoir ce que l’on veut obtenir. Avec Rémy, qui habite à 500 km de mon quotidien bordelais, tout est carré alors il n’y a pas eu de difficultés. Peut-être que les enregistrements ont été plus longs que si on avait travaillé ensemble physiquement mais, au cas contraire, le résultat aurait été différent. Là, je lui ai envoyé les démos avec toutes les basses écrites. Je lui ai donné quelques instructions sur le son que je souhaitais, sur le type de jeu qui me semblait cohérent, et je lui ai laissé carte blanche. Il pouvait changer ce qu’il voulait, adapter, améliorer, selon son ressenti. Et il a beaucoup proposé, même largement plus que ce qui était nécessaire. Parfois j’avais même trop de choix. Des prises en slap, ou en tapping, ou jouées au doigt, ou au médiator… J’avais l’impression d’être devant un menu de restaurant gastronomique, où tout est potentiellement délicieux. La sélection n’était donc pas toujours évidente. Je suis très pointilleux mais Rémy est vraiment un bassiste phénoménal. Donc quand je recevais ses propositions, j’étais comme un gamin devant le meilleur des gâteaux et le plus souvent je n’avais rien d’autre à dire que “bravo”. Le fait que l’on travaille à distance a sûrement bénéficié à la créativité de Rémy puisque je n’étais pas derrière son dos. Et donc tant mieux, il pouvait s’exprimer sans trop de filtres. C’était la même situation avec Pierre-Yves. Il a mastérisé le disque sans que l’on se voie avant et pendant sa prestation. Seules quelques instructions ont suffi. L’un et l’autre, Rémy et Pierre-Yves, sont des individus passionnés et ils ont mis leurs compétences au service de la musique. Sincèrement, je ne peux pas imaginer meilleure collaboration. Ils comprennent vite, ils sont créatifs, humbles et capables de prouesses. Merci à eux. Rémy envisage de se lancer dans un projet perso, j’espère qu’il le le réalisera bientôt. Pour en revenir à la question, la distance a eu aussi l’avantage de laisser le projet évoluer un peu sans moi, tout en me permettant d’obtenir un meilleur “recul”. Le potentiel et les méthodes de chacun ont compensé le manque d’émulation que la situation géographique imposait.
Est-ce qu’un autre album a déjà réussi à trouver le point d’équilibre parfait entre folie assumée limite anxiogène et pleine sérénité ? C’est le grand écart de ton disque. Ou c’est un disque schizophrène, dit autrement.
Ah merci. Je prends ça comme un compliment. Mais je me sens incapable de bien répondre à cette question. Je prends ça comme un compliment parce que la plupart de mes albums préférés ont cette caractéristique je crois. Par exemple, “Infinity” de Devin Townsend, ou même “Wish you were here” de Pink Floyd. Les albums de Mr Bungle aussi je crois. Et plus récemment, ceux de Leprous. Dans ces disques, on peut toujours déceler une “bonne humeur” dissimulée sous un enrobage “tendu”, angoissé, ou si ce n’est une “bonne humeur”, un plaisir énorme à créer une musique libre. Je crois que le plaisir de composer se coordonne très bien avec l’expression d’émotions complexes. Je ne veux pas comparer The Odd Gallant avec ces disques-là, ni même dire que je m’en suis inspirés, mais je peux seulement admettre que mon album a été fait en totale liberté artistique. Et d’autre part, je le reconnais, j’aime écouter ma musique quand je la compose. Je pense que ce plaisir d’écouter participe à la composition et peut donc traduire ce sentiment de sérénité. Je considère alors que cela a plus à voir avec de la sincérité qu’avec une forme de schizophrénie. Cependant, pour ne rien cacher, mon fils est né alors que je commençais à travailler sur AM et je me suis souvent fait la remarque que la paternité avait quelque chose d’un peu schizophrénique. Du coup, oui, peut-être qu’AM traduit ça, c’est à dire la sérénité et les angoisses d’être papa.